Voici la chuite!
Chapitre 4
« Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Francisco de GoyaUn regard vide traversait le salon en tremblant de peur et de honte. Son corps, recroquevillé sur le canapé verni de sang, attendait que le Reaper vienne le chercher, l’amène encore au bord de la folie,
au bord de ses limites.Il avait peur.Autant de lui-même que de cet homme qui semblait raviver un
monstre tapi en lui... Une bête d’une cruauté sans limite. Par flash, il revoyait le cutter transperçant le ventre de son ami. Il se frotta nerveusement le visage pour tenter de se ranimer à la réalité et secoua vigoureusement la tête. Il baissa un regard fuyant au sol et regarda Spencer à ses pieds.
Il n’osait s’approcher de Reid, toujours étendu à terre, un couteau dans le ventre, craignant de perdre une nouvelle fois le contrôle de lui-même et de le massacrer
comme Rossi. Une larme glissa sur ses joues éclaboussées des souffrances de David. Il était secoué de spasmes entrecoupés par des gémissements. Et si le mal était entré en lui en même temps que
le sang du tueur? Et s’il n’était pas meilleur que Foyet, mais
bien pire... ? Il regarda son jeune agent inconscient.
Saurait-il à nouveau se contrôler en restant à ses côtés?Il ressentait une rage insensée -
quoique assourdie par le calme et l’obscurité de la pièce- contre le sort, contre ses agents et contre Foyet. Incapable de s’en prendre à l’irréel et dans la crainte qu’il n’arrive quelque chose à sa famille, il n’avait qu’un seul choix : passer ses nerfs sur
son équipe.
Il ne supportait plus le poids des tortures qu’il leur infligeait, les questions et la colère qu’ils lui témoignaient. Il se leva doucement du canapé et s’approcha de Spencer, spectre qui le hantait, et toucha le manche qui se dressait sinistrement hors de son ventre, preuve de sa cruauté.
Il hésita puis toucha sa peau, s’attendant à être submergé par une colère incommensurable, une envie de tuer,
un flot d’envies perverties par son besoin de lui faire mal... Mais à la place il frissonna encore plus. Son visage était froid et son souffle tiède, irrégulier. Il écouta son cœur et eut des nausées à chaque fois qu’il ratait un battement.
Allait-il en mourir ?
Tout en caressant et parsemant le visage de son jeune agent de trainées ocre, il repensa aux premières phrases du tueur... Il devait soi-disant avouer quelque chose... Qu’il était aussi un
assassin ? Un
monstre ? Qu’il ne méritait pas son équipe ?... Il était désespéré et sans réponses. Il se demandait vraiment s’il y avait quelque chose à dire...
Il appuya plus fort ses doigts
monstrueux par lesquels il torturait, sur le visage si fragile de Spencer... Sur son crâne si rempli et pourtant si vide de compréhension au moment des souffrances... Il pourrait fermer sa main et l’éclater entre ses doigts.
Il regrettait d’avoir choisi un appartement dans un immeuble si calme. Son seul voisin de palier n’était jamais là. La concierge presqu’entièrement sourde habitait en dessous... Et au-dessus, il n’y avait que cette nuit noire qui se moquait de lui. Une nuit noire qui n’en finissait pas et qui nourrissait ses propres pensées désarticulées de sens.
Il reporta à nouveau son attention sur Reid, pour échapper à cette panique mêlée de culpabilité qui le prenait dés qu’il laissait entrer en lui cette obscurité et cette sinistre impression d’être seul au milieu de
l’Enfer. Il n’arrivait plus à penser à son fils qu’il avait déjà amené ici, qui avait joué aux petites voitures à l’endroit-même où gisait Spencer dans une flaque de sang. Il n’arrivait plus à se voir en train de donner un bain à Jack sans avoir froid, sans sentir l’eau entrer dans ses poumons. Enfin, il n’imaginait plus les repas qu’il passait avec son garçon, dans la cuisine aujourd’hui incarnate. Tous les souvenirs qu’il avait de cet appartement avaient été violemment souillés... Lui-même se sentait impur, monstrueux en ces funestes lieux.
Il caressa le front de Reid se demandant s’il pensait, là où il était, s’il lui en voulait, s’il comprenait ou s’il
souffrait encore...
Une voix le fit sursauter dans la contemplation de son agent.
-Le suivant est prêt... Réveillé. Agent Hotchner, plus besoin de vous acharner sur l’Agent Reid : il est inconscient... Il ne sentirait rien et vous utiliseriez vos forces pour rien. Venez, j’ai encore envie de vous voir faire la pute pour moi.Hotch lança un regard implorant au visage fermé mais paisible de Spencer, comme s’il espérait qu’il lui donnerait une grâce que le Reaper semblait ne pas vouloir lui accorder.
Le tueur ramassa la corde qui pendait de son cou et tira un peu sur la laisse de fortune. Il le suivit à contrecœur, effrayé de ce qui allait suivre : et si la nouvelle épreuve réveillait à nouveau ce
monstre qui sommeillait en lui, s’il devenait à nouveau
incapable de réprimer ses pulsions ?Il garda un religieux silence, regardant fébrilement autour de lui, espérant trouver un signe qui lui permettrait d’avoir confiance à lui, qui lui permettrait de se contrôler...
Mais même le portrait de son fils était éclaboussé de sang.____________________________________
Une contorsion
grotesque d’un corps presque nu. Des pieds qui battaient l’air vainement. Des poings liés qui s’envolaient jusqu’à ce que les solides liens ne les stoppent brutalement. Un concerto de rugissements de rage et de honte résonnait contre les parois d’une chambre, tantôt puissant, tantôt étranglé par une corde qui était glissée sur une gorge large, empêchant tous mouvements brusques de l’individu dont le la tête était recouverte par un sac en toile.
Couché sur un lit, les muscles gonflés d’adrénaline et de colère, Morgan se débattait comme un
diable pour faire céder les entraves qui le maintenaient au matelas depuis de longues minutes. Il était désorienté. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui avait bien pu se passer quand il était arrivé chez Hotch.
Pourquoi donc avait-il été assommé ? Il entendit un craquement cinglant au niveau du sommier du lit et continua sa danse
macabre pour se libérer.
Il sentit un léger courant d’air sur son corps dévoilé et arrêta directement tous mouvements pour tendre l’oreille. Des pas lents s’approchaient de lui. La voix d’Hotch s’éleva juste à côté de lui.
-Si tu cries, ce sera pire.Immobile et encore plus perdu, il garda le silence, espérant que son patron continuerait un peu plus loin,
qu’il lui expliquerait la situation...
Forcément, Hotch n’était pas l’instigateur de cette mascarade, il devait y avoir quelqu’un d’autre... Il sentit qu’on posait sa main droite sur quelque chose de dur. Il tremblait légèrement et, à tâtons, il parcourut l’objet de la main, espérant trouver de quoi il s’agissait.
Une planche... ?Un sifflement menaçant déchira l’air et un bruit mat suivi d’un craquement percuta ses tympans. Il lui fallut une demi seconde avec d’hurler de douleur et de retirer sa main qui venait d’être frappée par un marteau.
-HOTCH ! VOUS ETES MALADE ?!!!Il tenta de lui envoyer son poing dans ce qu’il présumait être l’endroit où devait se trouver sa figure, mais la corde l’empêcha d’atteindre son but. Il entendit la voix calme mais tremblante d’Hotch.
-Tu as crié.Il sentit une poigne ferme prendre sa main cassée et déplacer les os qui crièrent à nouveau en même temps que Derek qui tentait de retirer sa main. Son patron la plaqua sur la planche et un claquement retentit. Il sursauta de douleur et sentit son corps se cambrer. Un objet froid venait de transpercer sa main. Il se mordit la lèvre pour ne pas hurler.
Il n’était plus que sanglé à son sort.
Mais cloué.____________________________
Hotch lança un regard hébété sur le corps de Morgan dont la peau sombre suintait la peur, un pistolet à clous dans un poing et un marteau dans l’autre. Il faisait sombre dans la chambre... Et seul le reflet de ce corps en sueur laissait apercevoir les mouvements compulsifs qui s’échappaient de son collègue. Il contourna doucement le lit, tentant de garder son calme et de ne pas à nouveau être l’auteur d’un bain de sang effroyable.
Il voyait le contour des veines gonflées de colère de Morgan dans l’obscurité. Il s’approcha de son autre main, inerte. Il se pencha un peu vers elle pour placer une deuxième planchette de bois en dessous, lorsque soudain, elle se réveilla comme une
immonde bête noire et l’attrapa au cou.
Il se mit à gémir légèrement en sentant l’air bloqué dans ses poumons.
-POURQUOI ?! Le rugissement avait flamboyé dans la pièce froide. Hotch ne pouvait pas répondre, il secoua un peu la tête tout en tentant de se libérer de cette main qui le secouait comme un vulgaire fétu de paille. Derek avait une force incroyable. Il avait la tête qui tournait.
-HOTCH !! REPONDEZ !S’il mourrait, sa famille le suivrait... et son équipe aussi. Il serra le marteau dans sa main et le pistolet à clous qu’il tenait dans l’autre. Il gifla l’air avant d’atteindre le bras qui craqua violemment, le lâchant enfin. Le cri de Morgan déchira la pièce.
Un cri vaut un clou.Il appliqua le pistolet contre son bras et appuya sur la gâchette. Derek se mit à se débattre plus vivement en hurlant.
-HOTCH ! MERDE ! SALAUD ! Trois cris. Trois clous.Il appliqua sur son ventre tremblant de rage et de douleur le canon.
Un.
Il le posa sur son torse qui se soulevait de manière erratique, évitant de justesse la main clouée à la planche qui frôla son visage.
Deux.Il n’entendait plus les cris qu’il déchaînait chez son ami. Il finit par planter un dernier clou au niveau de son nombril.
Trois. Soudain, un brusque coup de pied s’enfonça dans son ventre blessé, brûlé...
souillé. Et il hurla à son tour de douleur. Le Reaper avait beau lui avoir donné des antidouleurs afin qu’il puisse faire ce qu’il lui demandait plus facilement, là, ils ne le protégèrent pas de la violence du choc. Son marteau et son pistolet glissèrent de ses mains poisseuse.
Il se laissa tomber à terre, aveuglé par la douleur et la colère. Les pieds victorieux de Morgan battaient toujours l’air en espérant l’atteindre.
-ENFOIRE ! J’AVAIS CONFIANCE EN VOUS ! POURQUOI ?!Hotch se releva péniblement, les yeux embrumé par les lancements qui remontaient son ventre.
Des cris. Des clous.Emplis de rage pour ce coup, pour ces accusations qui le déchiraient, il ramassa ses deux armes, gémissant légèrement en se pliant. Il serra dans sa main gauche le marteau, le leva et l’abattit de toutes ses forces sur les jambes qui frappaient l’air dans le but de le blesser. Morgan hurla encore. Il se mit à le frapper avec une
colère mêlée à la
folie de l’impuissance, sentant son sang éclabousser sa chemise déjà carmin, son visage déformé par la fureur et ses mains meurtrières. Les craquements secondaient les cris. Il vit un os blanc, étrange contraste sur son corps, jaillir brusquement de sa jambe et la voix éraillée de Morgan perça ses tympans sourds.
Il brisa encore ses jambes et y ajouta des clous, partout, encore. Pour tous les cris. Il devait le faire. Il devait bien le faire
sinon... Et puis, il se débarrassait de façon
morbide de son impuissance en écrasant Morgan. Oui, il se rendait enfin
puissant.
Il n’entendait plus les reproches de Morgan. Il ne voyait que son sang, que ses os qui se broyaient si facilement sous son marteau, que ses clous qui s’enfonçaient dans la chair,
partout. Après un long moment, il s’arrêta enfin, épuisé. Derek ne bougeait plus. La folie se dissipait doucement. L’obscurité recouvrait son crime... Mais il apercevait légèrement plusieurs fractures ouvertes au niveau de ses jambes... et des dizaines de clous qui saillaient hors des plaies qui
suintaient le sang.
Il lâcha ses armes et se laissa glisser au sol. Il se roula en boule et attendit la suite. Comme un
fauve en cage. Comme un
homme brisé qui tente de retenir en lui les derniers fragments d’humanité.
Comme un monstre qui ne veut s’avouer ce qu’il est devenu.« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. » Friedrich Nietzsche